Le regain au coeur des mots
En ce mois de mars,
une voix souffle à mon oreille vigilante :
"Je ne sais ce qui me possède
Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l’aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m’habite et qui m’obsède…"
Les poètes (extrait de « Prologue ») – Louis Aragon – chanté par Jean Ferrat -
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Quand, attendu et désiré, le printemps chipote et rechigne à respecter le calendrier, il ne suscite que promesses et émotions à venir.
Les idées présentes s’évadent alors vers un avenir à portée de main, affaiblissant l’œil nu dont l’attention est déjà fort altérée par l’accoutumance envers certaines illusions fabriquées à la chaîne.
Et si le prince des saisons était déjà arrivé, posant le sceau de son sacre en couronnant de sa sève royale les opercules des bourgeons naissants ?
Certaines prémices s’activent dans une transparence doucement parfumée dont l’oiseau s’enivre jusqu’à folâtrer de haies en bosquets, son ramage confirmant l’heureuse nouvelle : voilà plusieurs jours que la nature s’éveille et que son infaillible mémoire répond aux obligations du règne de la vie.
Encensé par ce retour en force des valeurs, le triomphe des rites rejoint celui des optimismes et tous deux bousculent les codes établis par les coutumes en vogue, offrant ainsi à l’amateur de signes un jeu de piste ponctué de symboles aux allures indéchiffrables.
Car, le printemps se hume et s’écoute, son étrange et merveilleux monologue se récitant dans le silence de sa volonté inébranlable, celle de reconstruire ce que l’hiver a anéanti. Miracle renouvelé qui certifie de façon évidente et authentique qu’entre l’envie de croire et chaque once de vie, l’union est plus qu’une renaissance, une intelligence qui veille à respecter le cycle des saisons avec une rigoureuse conscience dont la conception initiale échappe encore au scepticisme moderne.
Décrire cet enthousiasme requiert une aisance dans la difficile acrobatie qu’est le choix des mots.
Trouver ceux qui possèdent les mérites du printemps revient à se pencher sur des définitions qui traduisent une richesse de sens, notamment celle de nourrir de nombreuses significations afin qu’elles puissent porter leur clarté féconde vers l’esprit et leur lumière vitale vers l’âme.
À l’image des offrandes du renouveau, du bon emploi des mots, combien se livrent de retours prodigues crus disparus ! Le gain fertile ne se recouvre-t-il pas, si vaincre ne sollicite aucune couronne de laurier, celle-ci cédant volontiers sa place à une pacifique rivale ornée de généreux pampres ?
Ah ! Je m’attarde à rêver d’un avenir où, entre respect et politesse vis-à-vis de l’harmonie du vocabulaire, comme un printemps vertueux couvant la lente construction de la cathédrale de la nature, naitrait, à l’égal de l’opulent jardin d’été, un humanisme partageant enfin ses fruits !
Idéal utopique germant dans une douce atmosphère bucolique ? Pourtant, au cœur des mots, combien de jeunes pousses portent-elles en leur sein l’attente de s’entendre prononcer ? Hélas ! Je n’ai de cesse de trembler devant chaque printemps balbutiant, sachant déjà que nombreux seront les bourgeons qui subiront les intempéries, ce qui laisse à certaines questions peu de chance d’obtenir un début de réponse…
Mais, tel l’apprenti présenté devant un nouvel ouvrage, le printemps ne s’illustre-t-il pas comme le cahier neuf de tous les espoirs ?
© Françoise TEISSIER
Mars 2013